Connaissance, mémoire, sensibilité et idées chez les animaux selon Voltaire


Extrait l'article "Bêtes" du Dictionnaire philosophique de Voltaire, Londres, 1764, p.48-51.







Quelle pitié, quelle pauvreté, d'avoir dit que les bêtes sont des machines, privées de connaissance et de sentiment, qui font toujours leurs opérations de la même manière, qui n'apprennent rien, ne perfectionnent rien, etc.!

Quoi cet oiseau qui fait son nid en demi-cercle quand il l'attache à un mur, qui le bâtit en quart de cercle quand il est dans un angle, et en cercle sur arbre ; cet oiseau fait tout de la même façon? Ce chien de chasse que tu as discipliné pendant trois mois, n'en sait-il pas plus au bout de ce temps, qu'il en savait avant les leçons? Le serin à qui tu apprends un air, le répète-t-il dans l'instant? N'emploies-tu pas un temps considérable à l'enseigner? N’as-tu pas vu qu'il se méprend et qu'il se corrige?

Est- ce parce que je te parle, que tu juges que j'ai du sentiment, de la mémoire, des idées? Eh bien, je ne te parle pas ; tu me vois entrer chez toi l'air affligé, chercher un papier avec inquiétude, ouvrir le bureau où je me souviens de l'avoir enfermé, le trouver, le lire avec joie. Tu juges que j'ai éprouvé le sentiment de l'affliction et celui du plaisir, que j'ai de la mémoire et de la connaissance.

Porte donc le même jugement sur ce chien qui a perdu son maître, qui l'a cherché dans tous les chemins avec des cris douloureux, qui entre dans la maison agité, inquiet, qui descend, qui monte, qui va de chambre en chambre, qui trouve enfin dans son cabinet le maître qu'il aime, et qui lui témoigne sa joie par la douceur de ses cris, par ses sauts, par ses caresses.

Des barbares saisissent ce chien, qui l'emporte si prodigieusement sur l'homme en amitié ; ils le clouent sur une table, et ils le dissèquent vivant pour te montrer les veines mésaraïques. Tu découvres dans lui tous les mêmes organes de sentiment qui sont dans toi. Réponds-moi, machiniste; la nature a-t-elle arrangé tous les ressorts du sentiment dans cet animal, afin qu'il ne sente pas? A-t-il des nerfs pour être impassible? Ne suppose point cette impertinente contradiction dans la nature.









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