Subjectivité et émotions chez les animaux selon Darwin


Extrait de Darwin, La Descendance de l'homme et la sélection sexuelle, ch. III, tr. Barbier, 1891.




Emotions : terreur, défiance, courage, timidité, colère, vengeance


Les animaux inférieurs, de même que l’homme, ressentent évidemment le plaisir et la douleur, le bonheur et le malheur. On ne saurait trouver une expression de bonheur plus évidente que celle que manifestent les petits chiens et les petits chats, les agneaux, etc., lorsque, comme nos enfants, ils jouent les uns avec les autres.

(...) Le fait que les animaux sont aptes à ressentir les mêmes émotions que nous me paraît assez prouvé pour que je n’aie pas à importuner mes lecteurs par de nombreux détails. La terreur agit sur eux comme sur nous, elle cause un tremblement des muscles, des palpitations du cœur, le relâchement des sphincters et le redressement des poils. La défiance, conséquence de la peur, caractérise éminemment la plupart des animaux sauvages. Il est, je crois, impossible de lire la description que fait sir E. Tennent de la conduite des éléphants femelles, dressées à attirer les éléphants sauvages, sans admettre qu’elles ont parfaitement l’intention de tromper ces derniers et qu’elles savent parfaitement ce qu’elles font. Le courage et la timidité sont extrêmement variables chez les individus d’une même espèce, comme on peut facilement l’observer chez nos chiens. Certains chiens et certains chevaux ont un mauvais caractère et boudent aisément, d’autres ont bon caractère ; toutes ces qualités sont héréditaires. Chacun sait combien les animaux sont sujets aux colères furieuses, et combien ils le manifestent clairement. On a publié de nombreuses anecdotes, probablement vraies, sur les vengeances habiles et souvent longtemps différées de divers animaux. Rengger et Brehm [1] affirment que les singes américains et africains qu’ils ont apprivoisés se vengeaient parfois. Sir Andrew Smith, zoologiste dont chacun admet l’exactitude absolue, m’a raconté le fait suivant dont il a été témoin oculaire : un officier, au cap de Bonne-Espérance, prenait plaisir à taquiner un babouin ; un dimanche, l’animal le voyant s’approcher en grand uniforme, pour se rendre à la parade, se hâta de délayer de la terre et, quand il eut fait de la boue bien épaisse, il la jeta sur l’officier au moment où celui-ci passait ; depuis lors, le babouin prenait un air triomphant dès qu’il apercevait sa victime.

L’amitié du chien pour son maître est proverbiale ; et, comme le dit un vieil écrivain [2] : « Le chien est le seul être sur cette terre qui vous aime plus qu’il ne s’aime lui-même. »

On a vu un chien à l’agonie caresser encore son maître. Chacun connaît le fait de ce chien, qui, étant l’objet d’une vivisection, léchait la main de celui qui faisait l’opération ; cet homme, à moins d’avoir réalisé un immense progrès pour la science, à moins d’avoir un cœur de pierre, a dû toute sa vie éprouver du remord de cette aventure.

Whewell [3] se demande avec beaucoup de raison : « Lorsqu’on lit les exemples touchants d’affection maternelle qu’on raconte si souvent sur les femmes de toutes nations et sur les femelles de tous les animaux, qui peut douter que le mobile de l’action ne soit le même dans les deux cas ? » Nous voyons l’affection maternelle se manifester dans les détails les plus insignifiants. Ainsi, Rengger a vu un singe américain (un Cebus) chasser avec soin les mouches qui tourmentaient son petit ; Duvaucel a vu un Hylobates qui lavait la figure de ses petits dans un ruisseau. Les guenons, lorsqu’elles perdent leurs petits, éprouvent un tel chagrin qu’elles en meurent, comme Brehm l’a remarqué dans le nord de l’Afrique. Les singes, tant mâles que femelles, adoptent toujours les singes orphelins et en prennent les plus grands soins. Un babouin femelle, remarquable par sa bonté, adoptait non seulement les jeunes singes d’autres espèces, mais encore volait des jeunes chiens et de jeunes chats qu’elle emportait partout avec elle. Sa tendresse toutefois, n’allait pas jusqu’à partager ses aliments avec ses enfants d’adoption, fait qui étonna Brehm, car les singes partageaient toujours très loyalement avec leurs propres petits. Un petit chat ayant égratigné sa mère adoptive, celle-ci très étonnée du fait, et très intelligente, examina les pattes du chat [4], et, sans autre forme de procès, enleva aussitôt les griffes avec ses dents. Un gardien du Jardin zoologique de Londres me signala une vieille femelle babouin (Cynocephalus chacma) qui avait adopté un singe Rhésus. Cependant, lorsqu’on introduisait dans sa cage deux singes, un Drill et un Mandrill, elle paru s’apercevoir que ces deux individus, quoique spécifiquement distincts, étaient plus voisins de son espèce ; elle les adopta aussitôt et repoussa le Rhésus. Ce dernier, très contrarié de cette expulsion, cherchait toujours, comme un enfant mécontent, à attaquer les deux autres jeunes toutes les fois qu’il le pouvait sans danger, conduite qui excitait toute l’indignation de la vieille guenon. Brehm affirme que les singes défendent leur maître contre toute attaque, et prennent même le parti des chiens qu’ils affectionnent contre tous les autres chiens. Mais nous empiétons ici sur la sympathie et sur la fidélité, sujets auxquels j’aurai à revenir. Quelques-uns des singes de Brehm prenaient un grand plaisir à tracasser, par toutes sortes de moyens très ingénieux, un vieux chien qu’ils n’aimaient pas, ainsi que d’autres animaux.


Émotions plus complexes : sentiment de l'émulation, humiliation


De même que nous, les animaux supérieurs ressentent la plupart des émotions les plus complexes. Chacun sait combien le chien se montre jaloux de l’affection de son maître, lorsque ce dernier caresse toute autre créature ; j’ai observé le même cas chez les singes. Ceci prouve que les animaux, non seulement aiment, mais aussi recherchent l’affection. Ils éprouvent très évidemment le sentiment de l’émulation. Ils aiment l’approbation et la louange ; le chien, qui porte le panier de son maître, s’avance tout plein d’orgueil et manifeste un vif contentement. Il n’y a pas, je crois, à douter que le chien n’éprouve quelque honte, abstraction faite de toute crainte, et quelque chose qui ressemble beaucoup à l’humiliation, lorsqu’il mendie trop souvent sa nourriture. Un gros chien n’a que du mépris pour le grognement d’un roquet, c’est ce qu’on peut appeler de la magnanimité. Plusieurs observateurs ont constaté que les singes n’aiment certainement pas qu’on se moque d’eux, et ils ressentent souvent des injures imaginaires. J’ai vu, au Jardin zoologique, un babouin qui se mettait toujours dans un état de rage furieuse lorsque le gardien sortait de sa poche une lettre ou un livre et se mettait à lire à haute voix ; sa fureur était si violente que, dans une occasion dont j’ai été témoin, il se mordit la jambe jusqu’au sang. Les chiens possèdent ce qu’on pourrait appeler le sentiment de la plaisanterie, qui est absolument distinct du simple jeu. En effet, si l’on jette à un chien un bâton ou un objet semblable, il se précipite dessus et le transporte à une certaine distance, puis il se couche auprès et attend que son maître s’approche pour le reprendre ; il se lève alors et s’enfuit un peu plus loin en triomphe pour recommencer le même manège, et il est évident qu’il est très heureux du tour qu’il vient de jouer.


Faculté et émotions plus intellectuelles


Passons maintenant aux facultés et aux émotions plus intellectuelles, qui ont une plus grande importance en ce qu’elles constituent les bases du développement des aptitudes mentales plus élevées. Les animaux manifestent très évidemment qu’ils recherchent la gaieté et redoutent l’ennui ; cela s’observe chez les chiens, et, d’après Rengger, chez les singes. Tous les animaux éprouvent de l’étonnement, et beaucoup font preuve de curiosité. Cette dernière aptitude leur est quelquefois nuisible, comme, par exemple, lorsque le chasseur les distrait par des feintes et les attire vers lui en affectant des poses extraordinaires. Je l’ai observé pour le cerf ; il en est de même pour le chamois ; si méfiant cependant, et pour quelques espèces de canards sauvages. Brehm nous fait une description intéressante de la terreur instinctive que les singes éprouvent à la vue des serpents ; cependant, leur curiosité était si grande qu’ils ne pouvaient s’empêcher de temps à autre de rassasier, pour ainsi dire, leur horreur d’une manière des plus humaines, en soulevant le couvercle de la boîte dans laquelle les serpents étaient renfermés. Très étonné de ce récit, je transportai un serpent empaillé et enroulé dans l’enclos des singes au Jardin zoologique, où il provoqua une grande effervescence ; ce spectacle fut un des plus curieux dont j’aie jamais été témoin ; trois Cercopithèques étaient tout particulièrement alarmés ; ils agitaient violemment dans leurs cages en poussant des cris aigus, signal de danger qui fut compris des autres singes. Quelques jeunes et un vieil Anubis ne firent aucune attention au serpent. Je plaçai alors le serpent empaillé dans un des grands compartiments. Au bout de quelques instants, tous les singes formaient un grand cercle autour de l’animal qu’ils regardaient fixement ; ils présentaient alors l’aspect le plus comique. Mais ils étaient surexcités au plus haut degré ; un léger mouvement imprimé à une boule de bois, à demi-cachée sous la paille, et qui leur était familière comme leur servant de jouet habituel, les fit décamper aussitôt. Ces singes se comportaient tout différemment lorsqu’on introduisait dans leurs cages un poisson mort, une souris [5], une tortue vivante, car, bien que ressentant d’abord une certaine frayeur, ils ne tardaient pas à s’en approcher pour les examiner et les manier. Je mis alors un serpent vivant dans un sac de papier mal fermé que je déposai dans un des plus grands compartiments. Un des singes s’en approcha immédiatement, entr’ouvrit le sac avec précaution, y jeta un coup d’œil, et se sauva à l’instant. Je fus alors témoin de ce qu’a décrit Brehm, car tous les singes, les uns après les autres, la tête levée et tournée de côté, ne purent résister à la tentation de jeter un rapide regard dans le sac, au fond duquel le terrible animal restait immobile. Il semblerait presque que les singes ont quelques notions sur les affinités zoologiques, car ceux que Brehm a élevés témoignaient d’une terreur instinctive étrange, quoique non motivée, devant d’innocents lézards ou de grenouilles. On a observé aussi qu’un orang a ressenti une grande frayeur la première fois qu’il a vu une tortue [6].

(…)

Mémoire


Il est presque superflu de constater que les animaux sont doués d’une excellente mémoire portant sur les personnes et les lieux ? Sir Andrew Smith affirme qu’un babouin, au cap de Bonne-Espérance, a poussé des cris de joie en le revoyant après une absence de neuf mois. J’ai eu un chien très sauvage et qui avait de l’aversion pour toute personne étrangère, dont j’ai mis la mémoire à l’épreuve après une absence de cinq ans et deux jours. Je me rendis près de l’écurie où il se trouvait, et l’appelai suivant mon ancienne habitude ; le chien ne témoigna aucune joie, mais me suivit immédiatement en m’obéissant comme si je l’avais quitté depuis un quart d’heure seulement. Une série d’anciennes associations, qui avaient sommeillé pendant cinq ans, s’éteint donc instantanément éveillées dans son esprit. P. Huber [7] a clairement démontré que les fourmis peuvent, après une séparation de quatre mois, reconnaître leurs camarades appartenant à la même communauté. Les animaux ont certainement quelques moyens d’apprécier les intervalles de temps écoulés entre des événements qui se produisent.


Imagination


Une des plus hautes prérogatives de l’homme est, sans contredit, l’imagination, faculté qui lui permet de grouper, en dehors de la volonté, des images et des idées anciennes, et de créer ainsi des résultats brillants et nouveaux. Ainsi que le fait remarquer Jean-Paul Richter [8] : « Si un poète doit réfléchir avant de savoir s’il fera dire oui ou non à un personnage, ce n’est qu’un imbécile. » Le rêve nous donne la meilleure notion de cette faculté ; et comme le dit encore Jean-Paul Richter : « Le rêve est un art poétique involontaire. » La valeur des produits de notre imagination dépend, cela va sans dire, du nombre, de la précision et de la faculté de nos impressions ; du jugement ou du goût avec lequel nous admettons et nous repoussons les combinaisons involontaires, et, jusqu’à un certain point, de l’aptitude que nous avons à les combiner volontairement. Comme les chiens, les chats, les chevaux et probablement tous les animaux supérieurs, même les oiseaux [9], sont sujets au rêve, comme le prouvent leurs mouvements et leurs cris pendant le sommeil, nous devons admettre qu’ils sont doués d’une certaine imagination. L’habitude qu’ont les chiens de hurler pendant la nuit, surtout quand il y a de la lune, d’une façon si remarquable et si mélancolique, doit être provoquée par quelque cause spéciale. Tous les chiens n’ont pas cette habitude. Houzeau [10] affirme que les chiens ne regardent pas la lune, mais quelque point fixe près de l’horizon ; il pense que leur imagination est troublée par les vagues apparentes des objets environnants qui se transforment pour eux en images fantastiques. S’il en est ainsi, on pourrait presque dire que c’est de la superstition.


Raison


On est, je crois, d’accord pour admettre que la raison est la première de toutes les facultés de l’esprit humain. Peu de personnes contestent encore aux animaux une certaine aptitude au raisonnement. On les voit constamment s’arrêter, réfléchir et prendre un parti. Plus un naturaliste a étudié les habitudes d’un animal quelconque, plus il croit à la raison, et moins aux instincts spontanés de cet animal ; c’est là un fait très significatif [11]. Nous verrons, dans les chapitres suivants, que certains animaux placés très bas sur l’échelle font évidemment preuve de raison, bien qu’il soit, sans doute, souvent difficile de distinguer entre la raison et l’instinct. Ainsi, dans son ouvrage la Mer polaire ouverte, le docteur Hayes fait remarquer, à plusieurs reprises, que les chiens qui remorquaient les traîneaux, au lieu de continuer à se serrer en une masse compacte lorsqu’ils arrivaient sur une mince couche de glace, s’écartaient les uns des autres pour répartir leurs poids sur une surface plus grande. C’était souvent pour les voyageurs le seul avertissement, la seule indication que la glace devenait plus mince et plus dangereuse. Or, les chiens agissaient-ils ainsi par suite de leur expérience individuelle, ou suivaient-ils l’exemple des chiens plus âgés et plus expérimentés, ou obéissaient-ils à une habitude héréditaire, c’est-à-dire à un instinct ? Cet instinct remonterait peut-être à l’époque déjà ancienne où les naturels commencèrent à employer les chiens pour remorquer leurs traîneaux, ou bien, les loups arctiques, souche du chien esquimau, peuvent avoir acquis cet instinct, qui les portait à ne pas attaquer leur proie en masses trop serrées sur la glace mince.

C’est seulement en examinant les circonstances au milieu desquelles s’accomplissent les actions que nous pouvons juger s’il convient de les attribuer à l’instinct, à la raison, ou à une simple association d’idées ; faisons remarquer en passant que cette dernière faculté se rattache étroitement à la raison. Le professeur Möbius [12] cite un exemple curieux : un brochet, séparé par une glace d’un autre compartiment d’un aquarium plein de poissons, se précipitait avec une telle violence contre la glace pour attraper les autres poissons qu’il restait souvent étourdi du coup qu’il s’était porté. Ce manège dura pendant trois mois environ, puis le brochet, devenu prudent, cessa de se précipiter sur la glace. On enleva alors la glace qui formait la séparation ; toutefois, l’idée d’un choc violent s’était si bien associée dans le faible esprit du brochet avec les efforts infructueux qu’il avait faits pour atteindre les poissons qui avaient été si longtemps ses voisins, qu’il ne les attaqua jamais, bien qu’il n’hésitât pas à se précipiter sur les poissons nouveaux qu’on introduisait dans l’aquarium. Si un sauvage, qui n’a jamais vu une fenêtre fermée par une glace épaisse, venait à se précipiter sur cette glace et à rester étourdi sur le coup, l’idée de glace et de coup s’associeraient évidemment pendant longtemps dans son esprit ; mais, au contraire du brochet, il réfléchirait probablement sur la nature de l’obstacle et se montrerait plein de prudence s’il se trouvait placé dans des circonstances analogues. Les singes, comme nous allons le voir tout à l’heure, s’abstiennent ordinairement de répéter une action qui leur a causé une première fois une impression pénible ou simplement désagréable. Or, si nous attribuons cette différence entre le singe et le brochet uniquement au fait que l’association des idées est beaucoup plus vive et beaucoup plus persistante chez l’un que chez l’autre, bien que le brochet ait souffert beaucoup plus, nous est-il possible de maintenir que quand il s’agit de l’homme, une différence analogue implique la possession d’un esprit fondamentalement différent ?

Houzeau [13] raconte que, tandis qu’il traversait une grande plaine du Texas, ses deux chiens souffraient beaucoup de la soif, et que, trente ou quarante fois pendant la journée, ils se précipitèrent dans les dépressions du sol pour y chercher de l’eau. Ces dépressions n’étaient pas des vallées, il n’y poussait aucun arbre, on n’y remarquait aucune différence de végétation, et on n’y pouvait sentir aucune humidité, car le sol y était absolument sec. Les chiens se conduisent donc comme s’ils savaient qu’une dépression du sol leur offrait la meilleure chance de trouver de l’eau. Houzeau a observé le même fait chez d’autres animaux.

J’ai observé, et beaucoup de mes lecteurs ont observé sans doute, au Jardin zoologique, le moyen qu’emploie l’éléphant pour rapprocher un objet qu’il ne peut atteindre : il souffle violemment sur le sol avec sa trompe au-delà de l’objet en question pour que le courant d’air réfléchi de tous côtés rapproche assez l’objet pour qu’il puisse le saisir. M. Westropp, ethnologiste bien connu, m’apprend qu’il a vu à Vienne un ours créer avec sa patte un courant artificiel pour ramener dans sa cage un morceau de pain qui flottait à l’extérieur des barreaux. On ne peut guère attribuer à l’instinct ou à une habitude héréditaire des actes de l’éléphant ou de l’ours, car ils auraient peu d’utilité pour l’animal à l’état de nature. Or, quelle différence y a-t-il entre ces actes, qu’ils soient accomplis par le sauvage ou par un des animaux supérieurs ?

Le sauvage et le chien ont souvent trouvé de l’eau dans les dépressions du sol, et la coïncidence de ces deux circonstances s’est associée dans leur esprit. Un homme civilisé ferait peut-être quelque raisonnement général à ce sujet ; mais tout ce que nous savons sur les sauvages nous autorise à penser qu’ils ne feraient sans doute pas ce raisonnement et le chien ne le ferait certainement pas. Toutefois le sauvage, aussi bien que le chien, malgré de nombreux désappointements, continuerait ses recherches ; et, chez tous deux, ces recherches semblent constituer également un acte de raison, qu’ils aient ou non conscience qu’ils agissent en vertu d’un raisonnement [14]. Les mêmes remarques s’appliquent à l’éléphant et à l’ours qui créent un courant artificiel dans l’air ou dans l’eau. Le sauvage, dans un cas semblable, s’inquiéterait fort peu de savoir en vertu de quelle loi s’effectuent les mouvements qu’il désire obtenir ; cependant cet acte serait aussi certainement le résultat d’un raisonnement, grossier si l’on veut, que le sont les déductions les plus ardues d’un philosophe. Sans doute, on constaterait, entre le sauvage et l’animal supérieur, cette différence, que le premier remarquait des circonstances et des conditions bien plus légères, et qu’il lui faudrait une expérience moins longue pour reconnaître les rapports qui existent entre ces circonstances ; or c’est là un point qui a une grande importance. J’ai noté chaque jour les actions d’un de mes enfants, alors qu’il avait environ onze mois et qu’il ne pouvait pas encore parler ; or j’ai été continuellement frappé de la promptitude plus grande avec laquelle toutes sortes d’objets et de sons s’associaient dans son esprit, comparativement avec ce qui se passait dans l’esprit des chiens les plus intelligents que j’ai connus. Mais les animaux supérieurs diffèrent exactement de la même façon des animaux inférieurs, tels que le brochet, par cette faculté de l’association des idées, aussi bien que par la faculté d’observation et de déduction.

Les actions suivantes, accomplies après une courte expérience par les singes américains qui occupent un rang peu élevé dans leur ordre, prouvent évidemment l’intervention de la raison. Rengger, observateur très circonspect, raconte que les premières fois qu’il donna des œufs à ses singes, ils les écrasèrent si maladroitement qu’ils laissèrent échapper une grande partie du contenu ; ils imaginèrent de frapper doucement une des extrémités de l’œuf contre un corps dur, puis d’enlever des fragments de la coquille à l’aide de leurs doigts. Après s’être coupés une fois seulement avec un fragment tranchant, ils n’osèrent plus y toucher, ou ne la manièrent qu’avec les plus grandes précautions. On leur donnait souvent des morceaux de sucre enveloppés dans du papier ; Rengger, ayant quelquefois substitué une guêpe vivante au sucre, ils avaient été piqués en déployant le papier trop vite, si bien qu’ensuite, ils eurent soin de toujours porter le paquet à leur oreille pour s’assurer si quelque bruit se produisait à l’intérieur [15].

Les cas suivants se rapportent à des chiens. M. Colquhoun [16] blessa à l’aile deux canards sauvages, qui tombèrent sur la rive opposée d’un ruisseau ; son chien chercha à les rapporter tous les deux ensemble sans pouvoir y parvenir. L’animal qui, auparavant, n’avait jamais froissé une pièce de gibier, se décida à tuer un des oiseaux, apporta celui qui était encore vivant et retourna chercher le mort. Le colonel Hutchinson raconte que, sur deux perdrix atteintes d’un même coup de fau, l’une fut tuée et l’autre blessée ; cette dernière se sauva et fut rattrapée par le chien, qui, en revenant sur ses pas, rencontra l’oiseau mort : « Il s’arrêta, évidemment très embarrassé, et, après une ou deux tentatives, voyant qu’il ne pouvait pas relever la perdrix morte sans risquer de lâcher celle qui vivait encore, il tua résolument cette dernière et les rapporta toutes les deux. C’était la première fois que ce chien avait volontairement détruit une pièce de gibier. » C’est là, sans contredit, une preuve de raison, bien qu’imparfaite, car le chien aurait pu rapporter d’abord l’oiseau blessé, puis retourner chercher l’oiseau mort, comme dans le cas précédent relatif aux deux canards sauvages. Je cite ces exemples parce qu’ils reposent sur deux témoignages indépendants l’un de l’autre, et parce que, dans les deux cas, les chiens, après mûre délibération, ont violé une habitude héréditaire chez eux, celle de ne pas tuer le gibier qu’ils ramassent ; or, il faut que la faculté du raisonnement ait été chez eux bien puissante pour les amener à vaincre une habitude fixe.

J’emprunte un dernier exemple à l’illustre Humboldt [17]. Les muletiers de l’Amérique du Sud disent : « Je ne vous donnerai pas la mule dont le pas est le plus agréable, mais la mas racional, – celle qui raisonne le mieux ; » et Humboldt ajoute : « Cette expression populaire, dictée par une longue expérience, démolit le système des machines animées, mieux peut-être que ne le feraient tous les arguments de la philosophie spéculative. » Néanmoins quelques écrivains nient encore aujourd’hui que les animaux supérieurs possèdent un atome de raison ; ils essaient de faire passer pour de simples contes à dormir debout les faits tels que ceux précédemment cités [18].

Nous avons, je crois, démontré que l’homme et les animaux supérieurs, les primates surtout, ont quelques instincts communs. Tous possèdent les mêmes sens, les mêmes intuitions, éprouvent les mêmes sensations ; ils ont des passions, des affections et des émotions semblables, même les plus compliquées, telles que la jalousie, la méfiance, l’émulation, la reconnaissance et la magnanimité, ils aiment à tromper et à se venger ; ils redoutent le ridicule ; ils aiment la plaisanterie ; ils ressentent l’étonnement et la curiosité ; ils possèdent les mêmes facultés d’imitation, d’attention, de délibération, de choix, de mémoire, d’imagination, d’association des idées et de raisonnement, mais, bien entendu, à des degrés très différents. Les individus appartenant à une même espèce représentent toutes les phases intellectuelles, depuis l’imbécillité absolue jusqu’à la plus haute intelligence. Les animaux supérieurs sont même sujets à la folie, quoique bien moins souvent que l’homme [19].


Pas de barrière infranchissable entre les facultés mentales de l'homme et celles des animaux. Perfectibilité animale.


Néanmoins beaucoup de savants soutiennent que les facultés mentales de l’homme constituent, entre lui et les animaux, une infranchissable barrière. J’ai recueilli autrefois une vingtaine d’aphorismes de ce genre ; mais je ne crois pas qu’ils vaillent la peine d’être cités ici, car ils sont si différents et si nombreux qu’il est facile de comprendre la difficulté, sinon l’impossibilité d’une semblable démonstration. On a affirmé que l’homme seul est capable d’amélioration progressive ; que seul il emploie des outils et connaît le feu ; que seul il réduit les autres animaux en domesticité et a le sentiment de la propriété, qu’aucun autre animal n’a des idées abstraites, n’a conscience de soi, ne se comprend ou possède des idées générales ; que l’homme seul possède le langage, a le sens du beau, est sujet au caprice, éprouve de la reconnaissance, est sensible au mystère, etc., croit en Dieu, ou est doué d’une conscience. Je hasarderai quelques remarques sur ceux de ces points qui sont les plus importants et plus intéressants.

L’archevêque Summer [20] a autrefois soutenu que l’homme seul est susceptible d’amélioration progressive. Personne ne conteste que l’homme fait des progrès beaucoup plus grands, beaucoup plus rapides qu’aucun autre animal, ce qui résulte évidemment du langage et de la faculté qu’il a de transmettre à ses descendants les connaissances qu’il a acquises. en ce qui regarde l’animal, et d’abord l’individu, tous ceux qui ont quelque expérience en matière de chasse au piège savent que les jeunes animaux se font prendre bien plus aisément que les vieux ; l’ennemi qui poursuit un animal peut aussi s’approcher plus facilement des jeunes. Il est même impossible de prendre beaucoup d’animaux âgés dans un même lieu et dans une même sorte de trappe, ou de les détruire au moyen d’une seule espèce de poison ; il est, cependant, improbable que tous aient goûté au poison ; il est impossible que tous aient été pris dans le même piège. C’est la capture ou l’empoisonnement de leurs semblables qui a dû leur enseigner la prudence. Dans l’Amérique du Nord, où l’on chasse depuis longtemps les animaux à fourrure, tous les témoignages des observateurs s’accordent à leur reconnaître une dose incroyable de sagacité, de prudence et de ruse ; mais, dans ce pays, on a employé la trappe depuis assez longtemps pour que l’hérédité ait pu entrer en jeu. Quand on établit une ligne télégraphique dans un pays où il n’y en a jamais eu, beaucoup d’oiseaux se tuent en se heurtant contre les fils ; mais, au bout de quelques années, les nombreux accidents de cette nature, dont ils sont chaque jour témoins, semblent leur apprendre à éviter ce danger [21].

Si nous considérons plusieurs générations successives ou une race entière, on ne peut douter que les oiseaux et les autres animaux n’acquièrent et ne perdent à la fois et graduellement leur prudence vis-à-vis de l’homme ou de leurs autres ennemis [22] ; si cette prudence est en grande partie une habitude ou un instinct transmis par hérédité, elle résulte aussi en grande partie de l’expérience individuelle. Leroy [23], excellent observateur, a constaté que là où on chasse beaucoup le renard, les jeunes prennent incontestablement beaucoup plus de précautions dès qu’ils quittent leur terrier que ne le sont les vieux renards qui habitent des régions où on les dérange peu.

Nos chiens domestiques descendent des loups et des chacals [24], et bien peut-être qu’ils n’aient pas gagné en ruse, et puissent avoir perdu en circonspection et en prudence, ils ont cependant, acquis certaines qualités morales, telles que l’affection, la fidélité, le bon caractère et probablement l’intelligence générale. Le rat commun a exterminé plusieurs autres espèces et s’est établi en conquérant en Europe, dans quelques parties de l’Amérique du Nord, à la Nouvelle-Zélande, et récemment Formose, ainsi qu’en Chine. M. Swinhoe [25], qui décrit ces deux dernières invasions, attribue la victoire au rat commun sur le grand Mus coninga à sa ruse plus développée, qualité qu’on peut attribuer à l’emploi et à l’exercice habituel de toutes ses facultés pour échapper à l’extirpation par l’homme, ainsi qu’au fait qu’il a successivement détruit tous les rats moins rusés et moins intelligents que lui. Il est possible, cependant, que le succès du rat commun dépende de ce qu’il était plus rusé que les autres espèces du même genre avant de s’être trouvé en contact avec l’homme. Vouloir soutenir sans preuves directes que, dans le cours des âges, aucun animal n’a progressé en intelligence ou en d’autres facultés mentales, est supposer ce qui est en question dans l’évolution de l’espèce. Nous verrons plus loin que, d’après Lartet, certains mammifères existants, appartenant à plusieurs ordres, ont le cerveau plus développé que leurs anciens prototypes de l’époque tertiaire.


Les animaux se servent d'outils


On a souvent affirmé qu’aucun animal ne se sert d’outils ; mais, à l’état de nature, le chimpanzé se sert d’une pierre pour briser un fruit indigène à coque dure [26], ressemblant à une noix. Rengger [27] enseigna à un singe américain à ouvrir ainsi des noix de palme ; le singe se servit ensuite du même procédé pour ouvrir d’autres sortes de noix, ainsi que des boîtes. Il enlevait aussi la peau des fruits, quand elle était désagréable au goût. Un autre singe, auquel on avait appris à soulever le couvercle d’une grande caisse avec un bâton, se servit ensuite d’un bâton comme d’un levier pour remuer les corps pesants, et j’ai, moi-même, vu un jeune orang enfoncer un bâton dans une crevasse, puis le saisissant par l’autre bout, s’en servir comme d’un levier. On sait que, dans l’Inde, les éléphants apprivoisés brisent des branches d’arbres et s’en servent comme de chasse-mouches ; on a observé un éléphant sauvage qui avait la même habitude [28]. J’ai vu un jeune orang femelle s’envelopper d’une couverture ou se couvrir de paille pour se protéger contre les coups quand elle redoutait d’être fouettée. Les pierres et les bâtons servent d’outils dans les cas précités ; les animaux les emploient également comme armes. Brehm [29] affirme, sur l’autorité du voyageur bien connu Schimper, qu’en Abyssinie, lorsque les babouins de l’espèce C. gelada descendent en troupe des montagnes pour piller les champs, ils rencontrent quelquefois des bandes d’une autre espèce (C. hamadryas) avec lesquelles ils se battent. Les gelada font rouler, sur le flanc de la montagne, de grosses pierres que les Hamadryas cherchent à éviter, puis les adversaires se précipitent avec fureur les uns sur les autres en faisant un vacarme effroyable. Brehm, qui accompagnait le duc de Cobourg-Gotha, prit part à une attaque faite avec des armes à feu contre une troupe de babouins dans la passe de Mensa, en Abyssinie. Ceux-ci ripostèrent en faisant rouler sur les flancs de la montagne une telle quantité de pierres, dont quelques-unes avaient la grosseur d’une tête d’homme, que les assaillants durent battre vivement en retraite ; la caravane ne pût même franchir la passe pendant quelques jours. Il faut remarquer que, dans cette circonstance, les singes agissent de concert. M. Wallace [30] a vu, dans trois occasions différentes, des orangs femelles, accompagnées de leurs petits, « arracher les branches et les fruits épineux de l’arbre Durian avec toute l’apparence de la fureur, et lancer une grêle de projectiles telle que nous ne pouvions approcher. » Le chimpanzé, comme j’ai pu le constater bien souvent, jette tout ce qui lui tombe sous la main à la tête de quiconque l’offense ; nous avons vu qu’un babouin, au cap de Bonne-Espérance avait préparé de la boue dans ce but.

Un singe, au Jardin zoologique, dont les dents étaient faibles, avait pris l’habitude de se servir d’une pierre pour casser des noisettes ; un des gardiens m’a affirmé que cet animal, après s’en être servi, cachait la pierre dans la paille, et s’opposait à ce qu’aucun autre singe y touchât. Il y a là une idée de propriété, mais cette idée est commune à tout chien qui possède un os, et à la plupart des oiseaux qui construisent un nid.

Le duc d’Argyll [31] fait remarquer que le fait de façonner un instrument dans un but déterminé est absolument particulier à l’homme, et considère que ce fait établit entre lui et les animaux une immense distinction. La distinction est incontestablement importante, mais il me semble y avoir beaucoup de vraisemblance dans la suggestion faite par sir J. Lubbock [32]. Il suppose que l’homme primitif a employé d’abord des silex pour un usage quelconque ; en s’en servant, il les a, sans doute, accidentellement brisés, et il a alors tiré parti de leurs éclats tranchants. De là à les briser avec intention, puis à les façonner grossièrement, il n’y a qu’un pas. Ce dernier progrès, cependant, peut avoir nécessité une longue période, si nous en jugeons par l’immense laps de temps qui s’est écoulé, avant que les hommes de la période néolithique en soient arrivés à aiguiser et à polir leurs outils en pierre. En brisant les silex, ainsi que le fait remarquer sir J. Lubbock, des étincelles ont pu se produire, et, en les aiguisant, de la chaleur se dégager : « d’où l’origine possible des deux méthodes ordinaires pour se procurer le feu. » La nature du feu devait, d’ailleurs, être connue dans les nombreuses régions volcaniques où la lave coule parfois dans les forêts. Les singes anthropomorphes, guidés probablement par l’instinct, construisent pour leur usage des plates-formes temporaires ; mais, comme beaucoup d’instincts sont largement contrôlés par la raison, les plus simples, tels que celui qui pousse à la construction d’une plate-forme, ont pu devenir un acte volontaire et conscient. On sait que l’orang se couvre la nuit avec des feuilles de Pandanus, et Brehm constate qu’un de ses babouins avait l’habitude de s’abriter de la chaleur du soleil en se couvrant la tête avec le paillasson. Les habitudes de ce genre représentent probablement les premiers pas vers quelques-uns des arts les plus simples, notamment l’architecture grossière et l’habillement, tels qu’ils ont dû se pratiquer chez les premiers ancêtres de l’homme.



Abstraction, conceptions générales, conscience de soi, individualité mentale.


Jusqu’à quel point les animaux possèdent-ils des traces de ces hautes facultés intellectuelles ? C’est là une question qu’il est difficile, pour ne point dire impossible, de résoudre. Cette difficulté provient de ce qu’il nous est impossible de savoir ce qui se passe dans l’esprit de l’animal ; en outre, on est loin d’être d’accord sur la signification exacte qu’il convient d’attribuer à ces divers termes. Si l’on en peut juger par divers articles publiés récemment, on semble s’appuyer surtout sur le fait que les animaux ne possèdent pas la faculté de l’abstraction, c’est-à-dire qu’ils sont incapables de concevoir des idées générales. Mais, quand un chien aperçoit un autre chien à une grande distance, son attitude indique souvent qu’il conçoit que c’est un chien, car, quand il s’approche, cette attitude change du tout au tout s’il reconnaît un ami. Un écrivain récent fait remarquer que, dans tous les cas, c’est une pure supposition que d’affirmer que l’acte mental n’a pas exactement la même nature chez l’animal et chez l’homme. Si l’un et l’autre rattachent ce qu’ils conçoivent, au moyen de leurs sens, à une conception mentale, tous deux agissent de la même manière [33]. Quand je crie à mon chien de chasse, j’en ai fait l’expérience bien des fois : « Hé, hé, où est-il ? » il comprend immédiatement qu’il s’agit de chasser un animal quelconque ; ordinairement il commence par jeter rapidement les yeux autour de lui, puis il s’élance dans le bosquet le plus voisin pour chercher la trace du gibier, puis enfin, ne trouvant rien, il regarde les arbres pour découvrir un écureuil. Or, ces divers actes n’indiquent-ils pas clairement que mes paroles ont éveillé dans son esprit l’idée générale ou la conception qu’il y a là, auprès de lui, un animal quelconque qu’il s’agit de découvrir et de poursuivre ?

On peut évidemment admettre qu’aucun animal ne possède la conscience de lui-même si l’on implique par ce terme qu’il se demande d’où il vient et où il va, – qu’il raisonne sur la mort ou sur la vie, et ainsi de suite. Mais, sommes-nous bien sûrs qu’un vieux chien, ayant une excellent mémoire et quelque imagination, comme le prouvent ses rêves, ne réfléchisse jamais à ses anciens plaisirs à la chasse ou aux déboires qu’il a éprouvés ? Ce serait là une forme de conscience de soi. D’autre part, comme le fait remarquer Büchner [34], comment la femme australienne, surmenée par le travail, qui n’emploie presque point de mots abstraits et ne compte que jusqu’à quatre, pourrait-elle exercer sa conscience ou réfléchir sur la nature de sa propre existence ? On admet généralement que les animaux supérieurs possèdent de la mémoire, de l’attention, de l’association, et même une certaine dose d’imagination et de raison. Si ces facultés, qui varient beaucoup chez les différents animaux, sont susceptibles d’amélioration, il ne semble pas absolument impossible que des facultés plus complexes, telles que les formes supérieures de l’abstraction et de la conscience de soi, etc., aient résulté du développement et de la combinaison de ces facultés plus simples. On a objecté contre cette hypothèse qu’il est impossible de dire à quel degré de l’échelle les animaux deviennent susceptibles de voir se développer chez eux les facultés de l’abstraction, etc. ; mais qui peut dire à quel âge ce phénomène se produit chez nos jeunes enfants ? Nous pouvons constater tout au moins que, chez nos enfants, ces facultés se développent par des degrés imperceptibles.

Le fait que les animaux conservent leur individualité mentale est au-dessus de toute contestation. Si ma voix a évoqué, dans le cas de mon chien précédemment cité, toute une série d’anciennes associations, il faut bien admettre qu’il a conservé son individualité mentale, bien que chaque atome de son cerveau ait dû se renouveler plus d’une fois pendant un intervalle de cinq ans. (…)


Notes


[1] Tous les renseignements qui suivent, donnés sur l’autorité de ces deux naturalistes, sont empruntés à Rengger, Naturgeschiche der Saügethiere von Paraguay, 1830, pp. 41, 57 ; et à Brehm, Thierleben, vol. I, p. 10, 87.

[2] Cité par le docteur Lauder Lindsay, Physiology of Mind in the lover animals (Journal of mental science), avril 1871, p. 38.

[3] Bridgevater Treatrise, p. 263.

[4] Un critique (Quarterly Review, juillet 1871, p. 72), dans le but de discréditer mon ouvrage, nie, sans preuves à l’appui, la possibilité de cet acte décrit par Brehm. J’ai donc résolu de m’assurer s’il était possible de l’accomplir, et j’ai trouvé que je pouvais facilement saisir avec mes dents les petites griffes aiguës d’un chat âgé de cinq semaines.

[5] Voir l’Expression des Emotions, p. 155, pour l’attitude des singes dans cette occasion.

[6] W.-C.-L. Martin, nat. hist. of Mammalia, 1841, p. 405.

[7] Les Mœurs des fourmis, 1810, p. 150.

[8] Cité dans Maudsley, Physiology and Pathology of Mind, 1868, pp. 19, 220.

[9] Docteur Jerdon, Birds of India, vol. I, 1862, p. XXI. Houzeau affirme que les perroquets et les serins rêvent parfois. Facultés mentales, vol. II. p. 136.

[10] Facultés mentales des Animaux, 1872, vol. II, p. 181.

[11] L’ouvrage de M. M.-H. Morgan, sur le Castor américain, 1868, fournit un excellent exemple de cette remarque ; cependant, je ne puis m’empêcher de trouver qu’il accorde trop peu de valeur à l’énergie de l’instinct.

[12] Die Bevegungen der Thiere, etc., 1873, p. 11.

[13] Facultés mentales des Animaux, 1872, vol. II, p. 265.

[14] Le professeur Huxley a analysé avec une admirable clarté les différentes phases intellectuelles que traverse un homme aussi bien qu’un chien pour en arriver à une conclusion dans un cas analogue à celui indiqué dans le texte. Voir, à ce sujet, son article : M. Darwin’s critics, dans Contemporary Review, nov. 1871, p. 462, et dans Critiques and Essays, 1873, p. 279.

[15] M. Belt, dans son très intéressant ouvrage The Naturalist in Nicaragua, 1874, p. 118, décrit aussi diverses actions d’un Cebus apprivoisé ; ces actions démontrent, je crois, que cet animal possédait, dans une certaine mesure, la faculté du raisonnement.

[16] The Moor and the Loch, p. 45. – Col. Hutchinson, Dog Breaking, 1850, p. 46.

[17] Personnal Narrative, t. III, p. 106.

[18] Je suis heureux de voir qu’un penseur aussi distingué que M. Leslie Stephen (Darwinism and Divinity, Essays on Free-thinking, 1873, p. 80), parlant de la prétendue barrière infranchissable qui existe entre l’homme et les animaux inférieurs, s’exprime en ces termes : « Il nous semble, en vérité, que la ligne de démarcation qu’on a voulu établir ne repose sur aucune base plus solide qu’un grand nombre de distinctions métaphysiques ; on suppose, en effet, que dès que l’on peut donner à deux choses deux noms différents, ces deux choses doivent avoir des natures essentiellement différentes. Il est difficile de comprendre que quiconque a possédé ou vu un éléphant puisse avoir le moindre doute sur la faculté qu’ont ces animaux de déduire des raisonnements. »

[19] Docteur W. Lauder Lindsay, Madness in animals, dans Journal of Mental Science, juillet 1871.

[20] Cité par sir C. Lyell, Antiquity of Man, p. 497.

[21] Voir, pour d’autres détails, Houzeau, les Facultés mentales, etc., vol. II, 1872, p. 147.

[22] Voir, pour les oiseaux dans les îles de l’Océan, Darwin, Voyage d’un naturaliste autour du monde (Paris, Reinwald), 1845, p. 398 ; Origine des espèces, p. 231.

[23] Lettres philosophiques sur l’intelligence des animaux, nouvelle édition, 1802, p. 86.

[24] Voir les preuves à cet égard dans la Variation des Animaux et des Plantes, etc., vol. I, chap. I.

[25] Proceedings of Zoological Society, 1864, p. 186.

[26] Savage et Wyman, Boston Journal of Nat. History, 1843-44, vol. IV, p. 383.

[27] Säagethiere von Paraguay, 1830, pp. 51, 56.

[28] The Indian Field, 4 mars 1871.

[29] Thierleben, vol. I, pp. 79, 82.

[30] The Malay Archipelago, vol. I, 1869, p. 87.

[31] Primeval Man, 1869, pp. 145, 147.

[32] Prehistoric Times, 1865, p. 473, etc.

[33] M. Hookham, dans une lettre adressée au professeur Max Müller, Birmingham News, mai 1873.

[34] Conférences sur la Théorie darwinienne (trad. franç.), 1869, p. 132.

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